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Dossier Lumen n° 29

Posté le 17 Janvier 2023

Jusqu’en 2016, faute de réelle accessibilité, les personnes aveugles et malvoyantes étaient peu présentes sur les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Instagram ou LinkedIn, créés pour favoriser l’interaction sociale, la création et le partage d’information. Aujourd’hui, ce public est de plus en plus présent sur ces communautés d’internautes, reliés entre eux en fonction de leurs intérêts, points de vue ou besoins communs. Ils ont désormais droit à ces interactions et ne s’en privent pas.

En posant des questions telles que : «Apple Watch, qu’en pensez-vous en termes d’accessibilité? Qu’est-ce qui est pratique, qu’est-ce qui l’est moins avec VoiceOver?» Anaïs a obtenu, en l’espace de 5 heures, 34 commentaires qui lui confirmaient l’intérêt de cette application, son accessibilité, les usages que l’on peut en faire. De son côté, Juliette a obtenu 23 retours en l’espace de 2 jours après avoir sollicité conseils et avis pour acheter une nouvelle canne blanche. Plus loin, un autre internaute fait part de ses problèmes avec VoiceOver et avec Siri. 10 internautes lui confirment qu’il n’est pas le seul et donnent des astuces pour contourner ou résoudre le problème…
Sur la page Facebook de DV_Conseil, on y fait la même chose que sur les autres pages hébergées par l’un des plus grands réseaux sociaux du monde : on discute, on échange, on partage, sauf que là, le point de convergence, c’est la déficience visuelle.
Au vu des nombreux échanges qui animent cette communauté sur Facebook, déjà forte de 3,9 K d’abonnements, le groupe DV_Conseil semble bien remplir la mission qu’il s’est assignée lorsqu’il a été créé : «partager des astuces, de bons plans et bien évidemment des conseils ».

Publics ou privés, ouverts aux voyants ou non, un même objectif : partager

Si ce groupe public est ouvert également aux personnes voyantes, parce «dans un monde inclusif, nous ne pouvons pas nous passer des uns des autres », souligne la communauté dans son «à propos », d’autres choisissent de fonctionner en mode privé — il faut demander à rejoindre le groupe et y être accepté pour voir les publications —, en y accueillant des voyants également, mais aussi en réservant l’accès seulement aux personnes en situation de
handicap visuel. Mais ouverts ou fermés, tous ces groupes se fixent le même objectif : partager des connaissances, des expériences, de l’expertise, des outils, des astuces, mais aussi créer du lien.
On y trouve des groupes généralistes, à l’instar de DV_Conseil ou encore de mal voyants et non voyants, qui rassemble de son côté plus de 4000 membres de tous âges, mais aussi des groupes plus thématiques, dédiés aux parents d’enfants aveugles qui partagent expériences, trouvailles et supports. Il existe également des groupes dédiés à l’accompagnement de ces parents pour les aider à élever un enfant, autour de l’aidance, des problématiques d’emploi et d’insertion professionnelle, d’innovations ou d’outils technologiques, de thématiques du quotidien et de loisirs, comme la cuisine ou encore les jeux vidéo…

Partager aussi des questions personnelles difficiles à aborder avec un professionnel

L’intérêt de s’y retrouver est partagé. « Il y a une vraie richesse dans l’échange : sur l’organisation personnelle, les stratégies déployées, les ressources pour rebondir, pour découvrir des activités auxquelles on ne pense pas… Et ils ont une compréhension réciproque du fait d’un même vécu», observe ainsi Alicia Kolkes, voyante qui navigue et interagit beaucoup sur ces réseaux de pairs pour enrichir ses connaissances et ses ressources dans le cadre de son travail mené au SIRDV, le Service d’information et de ressources pour la déficience visuelle de l’IRECOV[1] à Tours. « On peut croiser des analyses et des parcours très différents sur une grande amplitude géographique. Et c’est aussi un moyen de rompre l’isolement. » Dans le cadre de ses précédentes activités en tant qu’ergothérapeute, celle-ci n’hésitait pas d’ailleurs, à la fin d’un parcours de rééducation, à aiguiller ses patients vers ces plateformes «pour ne pas qu’ils soient laissés seuls, qu’ils puissent interpeller sur des questions liées à l’aidance, pour lesquelles les proches n’ont pas toujours les réponses, notamment en matière de technologies ».
Autre atout non négligeable selon elle, les réseaux sociaux peuvent constituer aussi une entrée « sur des thématiques moins faciles à aborder avec un professionnel, autour du relationnel, comme les relations amoureuses. Il est plus facile de prospecter sur des versants plus intimes grâce à l’anonymat des réseaux : comment aborder sans faire peur, quels sont les sites de rencontres accessibles, etc. », observe-t-elle encore. Au-delà des services et du partage entre pairs, c’est aussi une porte d’entrée pour appeler la communauté à se mobiliser sur toutes ces questions. Des actions s’y montent d’ailleurs, comme des pétitions.

Faire des rencontres

Le loisir et la rencontre y occupent aussi une place importante. Par exemple, sur le groupe Jeux vidéo et déficience visuelle, on ne se contente pas de faire ou profiter des retours concernant les jeux ou encore les tests de matériel : certains s’en servent aussi pour constituer des équipes de jeu, comme l’a fait Rémi pour constituer une équipe pro de DV pour une compétition de Trackmania.
D’autres réseaux ont le vent en poupe, comme WhatsApp, parce qu’il y est plus facile d’échanger en audio et vidéo depuis son téléphone et de s’y regrouper de manière «plus intimiste, pour faire des blind tests, des jeux… et y faire de nouvelles rencontres », observe Alicia Kolkes. Des liens qui peuvent aussi se transformer en amitiés hors de cet espace numérique. Car, «utilisés à bon escient, les réseaux sociaux créent des choses incroyables et sont une très belle source de rencontres », se réjouit Agathe Thévenin-Viallet, qui s’est fait également des amis par ce biais.

Utilisés à bon escient, les réseaux sociaux créent des choses incroyables et sont une très belle source de rencontres.

Alicia Kolkes

Faire le lien avec ceux qui œuvrent pour et autour de la déficience visuelle

Les réseaux sociaux ciblant ces thèmes ou ces publics servent aussi les professionnels qui gravitent autour des personnes déficientes visuelles, donc la « cause» en général, comme c’est le cas pour Alicia Kolkes. «Nous sommes
sollicités pour apporter de la réponse de qualité : sur les réseaux locaux d’aide et d’accompagnement, la façon de se former pour les déplacements, par les AESH[2] sur certains outils, etc. J’essaye donc de faire l’interface entre les réseaux sociaux et les interlocuteurs qui me questionnent, Facebook pour les proches aidants, LinkedIn pour les professionnels, pour leur donner des informations que j’y collecte sur des initiatives, actions, outils…», explique ainsi celle dont l’activité consiste à conseiller en outils de compensation liés à la déficience visuelle de proches aidants et des professionnels.

Inspirer sa propre expérience

Agathe Thévenin-Viallet se sert aussi des réseaux sociaux pour communiquer sur son activité d’accompagnante parentale d’enfants déficients visuels en libéral et donner déjà des réponses par ce biais. Sur ses pages créées sur Facebook, Instagram, LinkedIn, et sur sa chaîne YouTube, elle publie aujourd’hui des contenus, écrits, images ou vidéos, 3 à 4 fois par semaine.
Mais pas que du «pratique» en lien à son activité professionnelle. Ainsi, parce que son travail et sa vie personnelle « sont intrinsèquement liés » — elle est aveugle de naissance —, Agathe Thévenin-Viallet partage aussi sur ce qu’elle vit, son expérience, son point de vue. «Je suis assez résiliente, j’ai créé ma propre boîte, je peux inspirer les personnes déficientes visuelles », commente-t-elle. «Je me filme par exemple en train de cuisiner, de faire mon ménage… cela donne beaucoup d’espoir aux parents qui se disent ainsi “ce sera possible pour mon enfant”. » Et l’apport, pour cette jeune femme de 27 ans, va dans les deux sens. Car elle dit de son côté « s’épanouir » aussi sur ces réseaux : « Ça fait du bien de trouver des personnes qui vivent la même chose, mais aussi d’y trouver l’inspiration pour vivre son quotidien».

Un moyen de s’ouvrir aux autres et à d’autres choses

Pour autant, les réseaux ont aussi leurs « limites », remarque la technicienne du SIRDV. Outre l’inaccessibilité de certains, comme Snaptchat, d’autres réseaux sont moins faciles à aborder pour les personnes déficientes visuelles, par exemple lorsque sont postées des vidéos avec beaucoup d’infographies. Monter ses propres vidéos reste aussi compliqué, car il est plus difficile pour une personne aveugle ou malvoyante d’y caler les bonnes « respirations » ou encore d’y ajouter de la musique. Mais quelles que soient les limites, l’accès à ces derniers et à leurs contenus, en un ou deux clics et instantanément (grâce notamment au smartphone), constitue une formidable opportunité de s’ouvrir à d’autres choses et aux autres. Vincent Martin l’a constaté quand il a perdu la vue il y a 4 ans, même si lui n’a pas choisi d’échanger ou de suivre des communautés de «pairs ». « Lorsque je suis devenu aveugle, j’ai fait moins d’activités et je me suis retrouvé à m’ennuyer chez moi. Et je n’avais pas envie non plus de m’enfermer avec une communauté mais de voir d’autres choses. Pour moi, c’est un moyen de m’évader, de m’ouvrir à d’autres choses », explique l’étudiant qui apprécie en particulier y suivre les exploits de sportifs ou l’actualité. Bref, comme le résume d’ailleurs bien la communauté DV_Conseil : « Internet est une chance puisqu’il nous offre d’entendre et de lire notre monde».

[1] – Institut de rééducation et d’éducation pour la communication, l’ouïe et la vue

[2] – Accompagnants d’élèves en situation de handicap

Une entrée pour les professionnels qui ont une approche centrée utilisateurs

Des spécialistes ou des professionnels viennent aussi sur ces communautés solliciter les internautes sur leurs usages, avis et attentes, les dysfonctionnements observés sur des produits ou services, ou encore pour leur demander de tester des technologies.

À titre d’exemple, début octobre, une jeune start-up spécialisée en voix artificielle appelait sur le réseau
DV_Conseil à répondre à un sondage pour vérifier que son projet de développement de service de courriers papier accessibles était une bonne idée.
Dans la même optique, la Ligue Braille a appelé les internautes à répondre à une enquête à grande échelle
portant sur la mobilité des personnes aveugles et malvoyantes, afin d’«agir pour une mobilité plus inclusive». Un bon moyen de toucher un nombre de répondants important, pour que l’enquête soit « représentative des différentes situations ».
Le studio No Visual Games s’est de la même manière adressé à DV_Conseil et au réseau Jeux vidéo et déficience visuelle pour demander à la communauté, joueurs ou non, ce qu’ils attendraient d’un jeu vidéo totalement accessible en vue d’«optimiser au maximum» le jeu qu’ils sont en train de concevoir, l’Œil blanc. Et les réponses ne se sont pas fait attendre, à la fois sur les aspects techniques et fonctionnels (disponibilité
aussi bien sur iOS et Android, prise en charge des dernières technologies, son binaural et head tracking, options de guidage quand on marche, court ou conduit par exemple, option radar quand on tire…)
mais aussi sur les aspects scénaristiques (histoire riche en émotions fortes avec suspens, personnages attachants, doublage français performant…).
Ce à quoi s’ajoutaient des références à d’autres jeux qui fonctionnent bien. Les réseaux sociaux servent donc aussi à développer l’approche centrée utilisateur, dont on sait qu’elle est indispensable si l’on veut que le public visé se serve ensuite du produit ou du service qui lui est destiné.

Heureuse accessibilité

Personne malvoyante devant un ordinateur

Les pages dédiées à la déficience visuelle et/ou aux déficients visuels sont de plus en plus nombreuses sur les réseaux sociaux, même si elles sont plus ou moins actives. C’est assurément le tournant technologique opéré en 2016 par Facebook et Twitter permettant l’arrivée des personnes déficientes visuelles sur les réseaux, grâce aux options d’accessibilité pour malvoyants et aveugles que les deux géants ont déployé avec deux technologies différentes.

Facebook s’appuie sur l’intelligence artificielle grâce à la reconnaissance visuelle fournissant une description aux logiciels de lecture d’écran, comme VoiceOver, sur iOS, ou TalkBack, sur Androïd.
Auparavant, une personne aveugle ou malvoyante utilisant Facebook entendait qu’il y avait une photo parce que le logiciel le lui disait, mais elle ne savait pas ce qu’elle contenait. L’intelligence artificielle a rendu possible la lecture d’une «légende» générée automatiquement. Sur Twitter, les utilisateurs qui postent un sujet peuvent activer un système de légende, lu ensuite aux personnes aveugles. Dans le menu «accessibilité» des paramètres, on peut
cocher une case « rédigez des descriptions d’image», qui permet d’écrire jusqu’à 420 caractères d’information sur la photo.

Des descriptions plus détaillées encore sur Facebook et Instagram depuis 2022

Sur les traces de sa maison mère Facebook, Instagram utilise aussi depuis 2018 une technologie de reconnaissance visuelle qui générant une description des photos sur le fil d’actualité, la page Explorer et les pages de profils. Les deux réseaux ont annoncé cet automne avoir encore franchi un cap technologique : les descriptions sont désormais plus détaillées et le système reconnaît jusqu’à 10 fois plus les contenus des photos qu’à son lancement. Le logiciel peut désormais décrire la position des personnes présentes sur une photo et reconnaître plus précisément les actions
et les lieux. Les descriptions incluent également des informations de position simples — haut/milieu/bas ou gauche/
centre/droite — et une comparaison de la proéminence relative des objets, décrits comme primaire, secondaire ou
mineur, pour minimiser l’ambiguïté. Les commentaires sur cette fonctionnalité au cours du développement ont montré que l’utilisation d’un mot comme «grand» pour décrire un objet pouvait prêter à confusion, car on ne sait pas si la
référence correspond à sa taille réelle ou à sa taille par rapport aux autres objets d’une image.

Quelques communautés sur Facebook

Par Camille Pons