Dossier Lumen n° 20
Posté le 21 Octobre 2020
Le handicap c’est l’affaire de tous
SOPHIE CLUZEL, Secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargée des personnes handicapées
Tandis que Sophie Cluzel vient d’être reconduite au poste de secrétaire d’Etat en charge des personnes handicapées, elle revient pour le Lumen Magazine sur les grandes avancées des dernières années et les chantiers du gouvernement pour une société inclusive.
2020 est l’année des 5 ans du Lumen Magazine, c’est aussi les 15 ans de la loi Handicap (et les 45 ans de la loi Veil !). Quelles sont selon vous les grandes avancées sur la place des personnes handicapées dans la société ces dernières années ?
Sophie Cluzel : En matière d’acquis, la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances et la citoyenneté des personnes handicapées est une grande loi et il était important pour moi de célébrer ses 15 ans. La notion de personne en « situation » de handicap inscrite dans la loi m’importe beaucoup. À travers ce mot c’est tout le sens de la société inclusive que l’on veut bâtir.
Au-delà d’affirmer des droits fondamentaux avec la loi de 2005, l’État s’engage depuis 2017 dans un effort constant de financement de la politique du handicap. Plus de 46 milliards d’euros (soit 2,4 % PIB) concernent notamment, et pas seulement, la prestation de compensation du handicap, l’allocation adulte handicapée (AAH), revalorisée à 900 euros pour une personne seule, ou encore l’allocation enfant handicapé qui concerne 300 000 familles. Ce sont des avancées importantes, dans une optique d’autonomie de la personne, pour compenser ses difficultés là où elles se trouvent.
Aujourd’hui, notre objectif est la poursuite de la simplification de l’accès aux droits, devenu trop complexe au fil des ans, et ce afin que les Français en bénéficient de manière équitable et sur tout le territoire.
Ainsi, depuis un an, nous avons instauré des droits ouverts à vie, comme par exemple l’obtention de l’AAH ou la reconnaissance de qualité de travailleur handicapé. Plus besoin d’un certificat médical pour certifier que l’on est aveugle, porteur d’une maladie chronique évolutive ou autiste sévère ! C’est un très grand acquis au bénéfice des personnes en situation de handicap.
Enfin, il y a les grandes avancées en matière d’accessibilité à l’école ainsi qu’à l’emploi. L’école est en train de faire sa grande mutation. Avec le ministre de l’Éducation nationale, nous travaillons main dans la main pour le déploiement du grand service public de l’école inclusive. Cette année, 6 % d’élèves en plus en situation de handicap seront scolarisés en milieu ordinaire par rapport à 2019. Ce sont près de 28 % d’enfants en situation de handicap scolarisés en plus depuis 2017.
Sur l’emploi, malheureusement nous traversons une crise sanitaire et économique. Pour autant nous avons déjà des résultats concrets : en janvier 2020, nous étions passés sous la barre des 500 000 demandeurs d’emploi en situation de handicap. Et nous poursuivons nos efforts, le plan de relance économique — France Relance — comporte une enveloppe de 100 millions d’euros pour préserver et dynamiser l’emploi des personnes en situation de handicap.
Depuis 3 ans, nous œuvrons à l’évolution du regard sur le handicap. Ce défi collectif pour une société pleinement inclusive, c’est une ambition politique forte que je porte avec force et conviction. Si le Président de la République a voulu rattacher mon Secrétariat d’État auprès du Premier ministre, c’est pour fédérer l’ensemble du gouvernement de façon volontaire. Le handicap c’est l’affaire de tous et pas seulement des spécialistes !
La crise sanitaire a rappelé que l’on est encore loin de l’accessibilité universelle que vous appelez de vos vœux. Quelles sont les priorités du gouvernement pour une France 100 % accessible pour les déficients visuels ?
SC : Avec la crise nous avons traversé de grandes difficultés totalement imprévisibles. J’ai réagi immédiatement pour faire lever l’attestation de sortie pour les déficients visuels. Nous aurions bien sûr préféré ne pas agir en réaction mais les circonstances étaient d’une grande complexité. L’anticipation fait partie de notre méthode, par exemple sur le numérique. Avec la direction interministérielle du numérique, nous travaillons à la mise en accessibilité des sites internet. Par exemple la plateforme monparcourshandicap.gouv a été pensée avec les personnes concernées et est 100 % accessible pour tout type de handicap. C’est comme ça qu’il faut travailler et je serai extrêmement exigeante pour créer ce réflexe dans toutes les strates de nos politiques publiques afin d’atteindre l’accessibilité native des sites internet.
Je suis de même particulièrement attentive sur les avancées technologiques afin de m’assurer du déploiement massif du « vocal » en complément du tout digital. Sinon, la disparition des claviers tactiles sera plutôt une régression pour certains types de handicap.
C’est un travail de veille permanente et j’ai besoin de la mobilisation des associations ; si l’on veut être entendu auprès des fabricants et agir en amont, il faut pouvoir tirer la sonnette d’alarme tout de suite.
L’engagement de la société civile doit rester plein et entier car le handicap nous concerne tous.
Pensez-vous que si la France veut être un exemple de société inclusive cela aboutira grâce à une nouvelle grande loi Handicap
ou faut-il en finir avec les lois spécifiques et compter sur l’engagement de la société civile, des territoires et des entreprises ?
SC : Vous vous doutez de ma réponse, je ne suis pas en faveur d’une grande loi handicap. Chaque ministre dans son domaine de compétences
de droit commun se doit d’améliorer la vie des personnes en situation de handicap. Et je me bats au quotidien pour défendre les parties concernant le handicap dans la loi dite ordinaire. C’est ainsi qu’il faut porter le Secrétariat d’État auprès du Premier ministre et c’est ainsi que je continuerai de travailler.
L’engagement de la société civile doit rester plein et entier car le handicap nous concerne tous. À l’occasion de la Conférence Nationale
du Handicap en février dernier, nous avions notamment lancé la campagne de mobilisation citoyenne avec la plateforme make.org. Courant octobre, comme l’a annoncé le Premier ministre lors de son discours de politique générale au Sénat, aura lieu une grande mobilisation nationale sur l’ensemble du territoire. Il faut sortir de l’entre soi du handicap pour s’adresser à tous les Français !
Selon le rapport du Défenseur des droits, le handicap représente la première cause de discrimination comme en témoigne trop souvent l’actualité (refus des chiens guides dans les taxi, discriminations à l’embauche, etc.) Quel message d’espoir et quel(s) engagement(s) pouvez-vous donner à nos lecteurs pour une égalité réelle et une citoyenneté à part entière des personnes déficientes visuelles ?
SC : Le message est clair : zéro tolérance à la discrimination. J’en reviens par exemple aux chiens d’aveugles avec des cas récents. J’ai réagi très vite et convoqué les fédérations de commerçants. J’ai aussi demandé aux représentants des personnes en situation de handicap de se mettre ensemble d’accord pour une uniformisation du repérage des chiens guides et ainsi faciliter la vie de tous. Je serai extrêmement intransigeante sur l’application des amendes. Il faut que tous comprennent que ce n’est pas négociable : il est intolérable qu’en 2020 on en soit encore à justifier son handicap.
Enfin, il faut lever les préjugés et faire de la pédagogie. C’est dans cette optique que l’opération Duoday a été créée et aura lieu le 19 novembre 2020 partout en France, dans le cadre de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. Car il faut une sensibilisation constante pour lutter contre les discriminations.
Vous êtes au gouvernement depuis 3 ans, après un engagement militant dans le secteur associatif. Quel bilan faites-vous sur le plan personnel de ce passage côté politique et quelle place pour les associations à la table des discussions ?
SC : Je suis aujourd’hui au gouvernement pour autant je reste avant tout la maman d’une jeune fille en situation de handicap qui me rappelle tous les jours ce pour quoi je me lève, c’est-à-dire améliorer le parcours des personnes en situation de handicap, travailler sur les discriminations, sur le regard des autres, …
Depuis trois ans, il est toujours aussi important pour moi de me nourrir du terrain et d’être en proximité avec les personnes. Quand j’entends
le témoignage de parents qui doutaient que l’on veuille bien accueillir leur fils en centre de formation d’apprentis (CFA) et racontent que depuis, sa transformation est extraordinaire je me dis qu’on est sur la bonne voie et qu’il ne faut absolument pas baisser les bras sur notre ambition d’une société inclusive.
Ce que je souhaite maintenant c’est sensibiliser beaucoup plus le grand public et pour cela j’ai besoin des associations, des familles, des personnes. De tous ! Au travers des médias, et par le biais du sport, de la culture, de la vie sociale, nous devons montrer que les personnes en situation de handicap ont d’abord les mêmes aspirations que tous mais aussi énormément à apporter dans l’enrichissement réciproque des différences. Il faut davantage impliquer le grand public qui a une pleine responsabilité dans la place accordée à tout un chacun dans notre société. C’est tout le sens du Vivre Ensemble.
Par Sophie Dory-Lautrec