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Dossier Lumen n° 21

Posté le 2 Février 2021

Pratiquer un sport lorsqu’on est déficient visuel ou en situation de handicap ? Pas facile de s’y résoudre. Sans compter les difficultés actuelles liées à l’épidémie de Coronavirus qui a contraint le report des Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo ainsi que la fermeture de salles de sport. Entre l’image de soi et de son handicap, le peu d’information et de médiatisation des sports et structures adaptés, les moyens limités pour les sportifs professionnels, cela parait mission impossible. Pourtant, les lignes bougent, les fédérations s’ouvrent, la société évolue et si la représentation dans les médias peine encore, des initiatives contribuent à promouvoir le sport pour donner une autre vision du handicap.

Le sport, c’est bon pour la confiance en soi

Plus que jamais d’actualité, le sport a fait parler de lui en 2020. Avec le confinement, les français ont été nombreux à se mettre au jogging ou suivre des vidéos de fitness en ligne. Les associations de déficients visuels n’ont pas laissé tomber leurs adhérents et ont aussi proposé leurs cours en ligne tandis que les autorités prônent le sport-santé. Mais pourquoi une telle injonction et quels sont les bienfaits du sport pour les personnes en situation de handicap ?

Dessin d'un sportif aveugle

Un peu de biologie pour comprendre les bienfaits du sport

La réponse se trouve dans les substances chimiques endogènes, ce que l’organisme produit naturellement au-delà de trente minutes d’activité physique. Bien connues sous les noms d’endorphine, sérotonine, dopamine et noradrénaline, ces molécules se répandent dans le corps et procurent sensation de bien-être, diminution du stress, ou encore favorisent la bonne oxygénation du cerveau. Les sportifs sont aussi les premiers à souligner que le sport contribue à améliorer l’estime de soi, la fierté d’atteindre des objectifs, seuls ou en équipe.

Selon Christophe, triathlète, déficient visuel de naissance, le sport « aide à avancer, à avoir confiance en soi, à affirmer une détermination ». Parmi ces nombreuses réussites à son actif, il a notamment rallié en 2019 Lyon-Nice à vélo, un défi qu’il s’était lancé avec deux autres sportifs, membres de la fédération handisport de Lyon. Avec ce leitmotiv : «Vouloir n’est pas suffisant, il faut accomplir… » et au bout d’un an d’entraînement, les trois sportifs ont bouclé en trois jours ce périple de 437 kilomètres avec 6 000 mètres de dénivelé positif et trois cols. Une réussite dont ils ne sont pas peu fiers, et un message d’espoir qu’ils sont heureux de véhiculer tout au long de leur parcours et des rencontres.

Le sport pour mieux connaître son handicap

En apprenant à se positionner dans l’espace, à coordonner ses mouvements, le sport aide à mieux connaître son corps, et son handicap ! Nohan, jeune champion de parakaraté et malvoyant depuis l’âge de 3 ans, doit « ancrer » ses sensations s’il veut maîtriser les mouvements. Cela implique que tous ses sens soient en éveil, une très bonne coordination entre tous ses membres, mais aussi une grande agilité. Cette technique d’ancrage qu’il travaille avec son entraîneur est d’ailleurs reprise par des karatéka valides qui auraient tendance à reproduire ce qu’ils ont vu.

Même constat pour Stéphane Diagana, le champion de 400 m haies qui s’est prêté au jeu d’un semi-marathon les yeux bandés (cf. encart sur Harmonie Heroes) et témoigne : «Très curieuse sensation que de se retrouver dépourvu de la vue pour courir! L’absence de ce sens si important renforce très vite la présence des autres ». Le handicap n’est ainsi pas quelque chose en moins, mais une autre façon d’appréhender le sport, et peut s’avérer un atout !

Bien choisir son sport

Pas évident de choisir quel sport pratiquer et s’il est accessible à son handicap. Une première étape, si les associations locales ne fournissent pas une telle information, est de se renseigner auprès de la Fédération Française Handisport (FFH). Plus de 30 sports différents sont regroupés sous l’égide de cette fédération, dont une vingtaine pour les malvoyants, que ce soit l’athlétisme, le judo, le ski, ou encore le torball et le cécifoot.

Des clubs et structures affiliés Handisport sont répertoriés partout en France et leurs coordonnées accessibles sur le site internet extranet.handisport.org. Et pour les parents qui cherchent un sport pour leurs enfants, la FFH propose aussi des informations sur la page “Je suis un parent” et une adresse email : jeunes@handisport.org. En parallèle de la FFH, de plus en plus de fédérations sportives se sont adaptées pour proposer leur sport à toutes et tous si bien que le champ des possibles s’élargit.

Ainsi, les sports tels que l’escalade, le surf ou le karaté peuvent être pratiqués par des personnes déficientes visuelles. La Fédération Française Montagne et Escalade (FFME) a par exemple développé un guide pratique pour l’accueil de personnes en situation de handicap. Cyril Gauthier, professionnel de l’escalade et éducateur sportif à l’origine de ce guide, n’y voit que du positif : « En se mettant dans la peau de ce public particulier, on grimpe autrement, on voit les choses autrement. Alors, on ne cherche plus les limites, mais plutôt les possibilités de chacun. »*

Enfin, une autre source d’information utile, le HandiGuide des sports, un annuaire interactif des structures sportives mis à jour régulièrement par le ministère des Sports.

Un peu de définition : dit-on handisportif ? sportif paralympique ? sportif en situation de handicap ?

Le terme handisport désigne un sport représenté par la FFH, un handisportif est donc un pratiquant d’un des 30 sports de la fédération. Le terme paralympique a trait aux sports qui sont inscrits au programme des Jeux Paralympiques. La liste des sports inscrits évolue comme pour les Jeux Olympiques, faisant l’objet d’âpres négociations. Ainsi, le badminton et le taekwondo seront pour la première fois des disciplines paralympiques à Tokyo en 2021. Les sportifs sont des paralympiens. On parle néanmoins de parakaraté.

Bien entouré pour bien pratiquer

Au-delà de la terminologie, les sportifs en situation de handicap sont des sportifs avant tout qui reconnaissent l’importance de leur famille et leurs proches pour les soutenir dans leur pratique. Nohan est bien entouré, parents et grands- parents l’accompagnent dans sa pratique et facilitent son quotidien et ses déplacements, dans son emploi du temps chargé entre ses entraînements et sa vie de jeune étudiant. Christophe apprécie le soutien de ses proches. Pour lui, pas question de les décevoir et cette exigence le pousse à aller toujours plus loin dans les défis qu’il se lance.

La bienveillance au sein des clubs de sports ou lors de compétitions est également primordiale. Nohan souffre d’une photosensibilité ce qui nécessite qu’il porte une casquette et des lunettes toute la journée, même en intérieur et même sur le tatami. Lors de compétitions de karaté, cela a pu choquer, car il combattait avec les valides et certains y voyaient un affront aux codes de ce sport. Aujourd’hui, Nohan a gagné en notoriété et note que le public est au contraire très bienveillant et en soutien. Parmi ses adversaires, il apprécie l’esprit d’entraide. Il ne veut pas de pitié, mais note que son handicap force le respect lorsqu’il gagne contre un karatéka valide. L’esprit de compétition est présent, mais sans la rivalité qui peut parfois causer des dégâts.

Zoom sur ces initiatives qui promeuvent le sport et le handicap

Si le sport en fédération ou dans les associations s’ouvre de plus en plus aux sportifs en situation de handicap, un domaine toujours en retard est bien celui des médias. Le Conseil National de l’Audiovisuel (CSA) note une nouvelle fois dans son baromètre 2019 que la représentation du handicap à la télévision reste très marginale (seulement 0,7 % des personnes contre une estimation de 20 % de la population française porteuse d’un ou plusieurs handicaps). Cela est particulièrement vrai pour les compétitions sportives qui sont très peu médiatisées. Heureusement, certaines initiatives prennent le contrepied et profitent aux contraires des belles valeurs du sport pour parler handicap.

Logo Harmonie Heroes mission handisport

Harmonie Heroes : la web-série qui met le handicap à l’honneur

Pour la deuxième année consécutive, le groupe Harmonie Mutuelle fort de son credo Avancer collectif s’est donné pour mission de parler du handicap au travers de sa web série Harmonie Heroes qui met en scène des sportifs de haut niveau confrontés au handicap. Lors de cette saison autour de la déficience visuelle, Stéphane Diagana champion du monde du 400 m haies et Estelle Denis, sportive et journaliste TV se sont lancés le défi d’un semi-marathon les yeux bandés.

L’ancien athlète a confié ses impressions sur son expérience : « Lors des premiers entraînements en salle, je me suis retrouvé dans un environnement confortable assez rassurant (…), mais en extérieur c’était une tout autre histoire. J’avais beau savoir que j’étais en sécurité sur les trottoirs avec mon guide, le bruit très présent des voitures, auquel je ne prête pas autant d’attention d’habitude, était assez effrayant au début. Il m’a fallu du temps pour me convaincre que tout allait bien. »*** De son côté Estelle Denis remercie Éméric, son guide, en qui elle a toute confiance : « Je sais que je peux courir en me fiant uniquement à mes sensations et à sa voix. »****

Ce programme inédit, animé par le champion de paranatation Théo Curin, amputé des quatre membres, a remporté un franc succès cumulant pas moins de 11,6 millions de vues sur les réseaux sociaux. Il a été aussi diffusé sur la chaîne l’Équipe TV. Une belle manière de montrer que contrairement à ce que l’on dit, même si l’on adore le sport, pas facile de le pratiquer les yeux fermés !


A revoir sur : https://harmonie-heroes.fr/mission-handisport/

Portrait : Yvan WOUANDJI

Devenu aveugle à l’âge de 10 ans, ce passionné de football n’a rien lâché de sa passion. Aujourd’hui à 27 ans, il est la star du cécifoot en France, cette discipline paralympique aussi appelée football pour déficients visuels, et ambassadeur pour les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 à Paris.

Cécifoot

Yvan Wouandji, aveugle et star du cécifoot en France

Vous êtes joueur international de cécifoot et comparé à Paul Pogba, comment en êtes vous arrivé là ?

Je dirais que c’est un mélange de détermination, de confiance, mais aussi beaucoup de travail.
À l’âge de 10 ans, j’ai perdu la vue. Cela a été dur à encaisser. J’ai dû me reconstruire et le sport m’a beaucoup aidé. J’ai commencé par l’athlétisme, mais très vite je me suis trouvé en manque de challenge. J’avais besoin de partager mes sensations, de retrouver l’esprit d’équipe des sports collectifs.

J’aimais beaucoup le football, mais je ne savais pas qu’il y avait du football pour malvoyant. Et puis j’ai eu la chance dans ma vie d’être bien entouré. Grâce à mon enseignant de musique à l’Institut national des jeunes aveugles de Paris aussi très impliqué dans le sport — il est président de l’AS Cécifoot Saint-Mandé, j’ai découvert l’existence de ce sport. J’avais 12 ou 13 ans. Depuis, je n’ai plus lâché le ballon.

Diplômé en science de l’information et de la communication, vous auriez pu avoir une tout autre carrière… plus rémunératrice ?

Il est vrai qu’on ne vit pas encore du cécifoot. J’espère que les choses vont évoluer. Avec les Jeux Paralympiques en France, il y aura davantage de supporters, de sponsors, de pratiquants… Il faudrait aussi que le cécifoot soit rattaché à la Fédération Française de Football et non à la FFH. Ce serait une vraie preuve d’inclusion, mais aussi cela permettrait d’avoir plus de moyens. C’est le cas aujourd’hui pour le karaté ou le tennis, c’est regrettable que le football ne soit pas plus inclusif… Pour ma part, j’ai aussi la chance d’être soutenu par la Fédération des Aveugles de France avec qui j’ai un partenariat et qui me soutient dans ma carrière et dans la préparation des Jeux. Mon implication personnelle dans ce sport va au-delà des aspects financiers : le ballon c’est ma passion, je crois que je suis né pour jouer au football ! (rire)

Vous êtes sélectionné avec l’équipe de France pour les Jeux Paralympiques de Tokyo qui devraient avoir lieu en 2021, comment s’entraîne-t-on dans cette période de post-confinement ?

Nous nous sommes beaucoup entraînés avant le confinement, 4 à 5 fois par semaine et même pendant la période de confinement. Jusqu’au bout, on avait espoir que les Jeux aient lieu (NDLR le 24 mars 2020 le Comité Olympique a annoncé le report des Jeux). Nos coachs nous avaient préparé un programme collectif à faire chacun chez soi : corde à sauter, gainage, pompes, jeux de ballon et tout cela dans le salon, c’était plutôt amusant ! Le report nous a coupés dans notre élan, mais c’est pour mieux repartir.

Aujourd’hui, les différents clubs ont recommencé les séances collectives d’entraînement. On ne sait pas quand les compétitions vont reprendre, c’est une période assez frustrante. En attendant le feu vert pour les matchs, on se prépare !

Vous soulignez dans une vidéo récente publiée par le média Brut que la crise sanitaire a eu aussi un impact sur l’entraide dans la société…

Oui je le déplore, avec les mesures sanitaires, il y a moins de personnes qui aident spontanément. Moi j’ai de la chance d’avoir une famille, des proches qui m’apportent beaucoup. Mais c’est beaucoup plus dur sur le quai d’un métro, ou dans la rue. Avant, j’avais toujours quelqu’un pour me dire « Bonjour vous avez besoin d’aide ? » aujourd’hui c’est à moi de demander. Et cela peut prendre du temps, on doit parfois s’y reprendre à plusieurs fois avant une réponse favorable. Les gens marchent plus vite, s’évitent davantage, ont moins la tête à aider.

À travers cette vidéo, j’ai aussi voulu dire qu’il y a toujours moyen d’aider si l’on souhaite. Dans le cécifoot, il y a de la compétition, des enjeux. On a besoin de gardiens, d’arbitres, d’entraîneurs, de personnes qui aident pour les déplacements, etc. ll y a de la place pour tous les passionnés de foot voyants ou non-voyants.

Ambassadeur pour les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) Paris 2024 et volontiers photographié au côté du Président Emmanuel Macron, comment voyez-vous votre rôle et quel message sur le sport et le handicap pour les jeunes qui pensent que le sport ce n’est pas pour eux ?

Au-delà de mon activité sur le terrain, je suis souvent sollicité pour parler football et handicap. J’essaie toujours de véhiculer un message positif : pour moi, la vie est très belle, il y a plein de choses à réaliser, il ne faut pas s’arrêter au handicap. Je fais de la sensibilisation en école, dans des clubs et en entreprise. Comme je suis de plus en plus médiatisé, je reçois de plus en plus de sollicitations. Cela peut venir d’enseignants, d’entraîneurs sportifs, de personnes en charge des ressources humaines ou de la mission handicap au sein d’une entreprise. Il ne faut pas hésiter à faire appel à mes services ! (rires) J’ai aussi la chance de faire partie des ambassadeurs des JOP : à ce titre, je suis référent de la cellule football pour Paris 2024 et j’interviens lorsqu’il y a des émissions de TV pour initier au football, et même au cécifoot. C’est une opportunité de parler du handicap positivement.

Et j’encourage tous les jeunes à se mettre au sport. Il ne faut pas hésiter à se renseigner pour trouver un club à côté de chez soi : le sport apporte de la confiance en soi. Le sport m’a permis de me reconstruire, de mieux connaître et comprendre mon handicap et finalement de l’accepter.

Par Sophie Dory-Lautrec