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Dossier Lumen n° 24

Posté le 10 Janvier 2022

Un rebond attendu et espéré en 2022…

Le paysage de l’emploi des personnes handicapées a été bouleversé en une petite année. Pour des raisons de crise sanitaire, comme pour l’ensemble des Français, mais aussi avec la poursuite des réformes impactantes : nouvelle loi sur la formation professionnelle, augmentation des places dans les entreprises adaptées et les Esat, fusion de Cap emploi avec Pôle emploi. Lumen fait un tour d’horizon de ces nouveautés.

“N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. ”

Simone de Beauvoir
Homme aveugle au travail

Si l’on remplace les droits des femmes (qui restent bien sûr à défendre) par ceux des personnes en situation de handicap, dans cette phrase célèbre de Simone de Beauvoir, elle prend une résonance toute particulière dans le contexte actuel de crise épidémique et économique. En 2020/2021, force est de constater que l’emploi des personnes handicapées n’était plus forcément une priorité pour tous les acteurs économiques. Si du côté de l’État, une attention toute particulière a été donnée à l’employabilité des personnes handicapées (plan de relance, augmentation des postes dans les entreprises adaptées, mesures exceptionnelles prolongées), toutes les entreprises n’ont pas joué le jeu.

C’est d’abord dans les chiffres que nous avons de quoi rester préoccupé. Alors que le taux d’emploi des personnes handicapées était en légère amélioration fin 2019 et que cette tendance s’est poursuivie en 2020, il s’agit d’un effet en trompe-l’œil. Les entreprises ayant été à l’arrêt lors du premier confinement, les personnes handicapées n’étaient plus en situation de travail, même si elles restaient comptabilisées dans les effectifs. À la reprise, elles n’ont pas été considérées comme prioritaires dans les recrutements, d’autant que les entrées en formation de ce public étaient aussi en baisse.

« Les résultats de notre enquête Emploi de 2020 présentent en effet des résultats paradoxaux, souligne Didier Eyssartier, directeur général de l’Agefiph. La proportion des personnes reconnues administrativement handicapées est restée stable, tout comme leur taux de chômage qui demeure à 14 %. Mais ce qui est plus inquiétant, c’est que le chômage de longue durée s’est aggravé : + 5 % en un an. Les personnes qui sont au chômage y restent plus longtemps. » Il y a à cela des raisons conjoncturelles liées à la fermeture des entreprises, mais aussi des explications structurelles, et parmi celles-ci encore une fois le niveau de qualification moins élevé parmi les personnes handicapées que dans l’ensemble de la population. On verra donc une lueur d’espoir avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle réforme de la formation professionnelle début 2021. La loi de 2018 vise à faciliter l’accès à la formation et à la qualification pour tous, au travers du compte personnel de formation, en particulier pour les publics comme les personnes handicapées qui avaient du mal à entrer dans les parcours de formation.

Au-delà des aides exceptionnelles au recrutement et au maintien dans l’emploi, les trois partenaires officiels des politiques handicap, que sont l’Agefiph, le FIPHFP (pour la fonction publique) et l’OETH (pour le secteur sanitaire et social) ont donc mis l’accent en 2020/2021 sur les aides à la formation et à l’apprentissage. «Dans le courant de 2021, les entreprises ont recommencé à nous solliciter pour recruter, poursuit Didier Eyssartier. Et bien sûr, la prolongation des aides que nous avons mises en place avec l’État jusqu’à la fin de l’année est là pour les inciter à maintenir leurs actions : aides à l’embauche, aides à l’apprentissage, appui à la création d’entreprises. »

Du côté de l’OETH, on confirme que l’année n’a pas été facile. «Entre gestion de l’urgence et passage au télétravail,
les politiques handicap des entreprises sont passées sous les radars en 2020» affirme Pierre-Marie Lasbleis, directeur
général d’OETH. On constate néanmoins un rebond cette année avec la reprise et les besoins de recrutement associés, qui semblent ne plus oublier les salariés en situation de handicap. Un autre élément rassurant pour les entrants sur le marché du travail, ce sont les premiers effets de la réforme de l’obligation d’emploi (création d’un référent handicap pour les petites entreprises, mode de calcul de l’OETH plus contraignant à l’échelle des établissements au lieu des entreprises) qui devraient être plus sévères pour ceux qui ne respectent pas les règles. » Pour aider l’intégration des personnes en situation de handicap, l’OETH a mis en place cette année des outils en ligne d’auto-diagnostic, afin qu’elles vérifient l’adéquation de leurs projets professionnels avec la situation de l’emploi dans le secteur sanitaire et social. Par ailleurs, Pierre-Marie Lasbleis pointe comme Didier Eyssartier à l’Agefiph l’importance de la formation, qui a conduit l’OETH à bâtir des formations pré-qualifiantes Oasis et à utiliser des outils comme les POE (préparations opérationnelles à l’emploi) pour améliorer les conditions d’accès aux parcours de formation.

Chez APF France Handicap, on a aussi constaté en 2020 des différences entre ce qu’on avait coutume d’appeler le
secteur adapté et protégé et le milieu ordinaire (entreprises)
. Pour ces dernières, si l’obligation d’emploi a été renforcée au premier janvier 2021, c’est bien parce qu’elles n’avaient pas suffisamment joué le jeu. APF France Handicap a à la fois un rôle de plaidoyer en défense des personnes handicapées auprès des pouvoirs publics, mais aussi un rôle d’employeur, avec la gestion de 25 entreprises adaptées et 25 ESAT (santé, numérique, économie circulaire).
«Avec l’augmentation du nombre de postes en entreprises adaptées, attendue depuis longtemps et enfin annoncée à l’automne 2020, il y a beaucoup de possibilités de recrutement dans les EA, estime Carole Saleres, conseillère nationale APF France handicap emploi, ressources et formation. On peut même dire qu’on recherche des gens pour des CDD Tremplin, qui allient emploi et formation. L’échelle de déploiement reste très faible, alors qu’il s’agit d’un bon outil. On peut par exemple inciter les personnes non et malvoyantes à se rapprocher de leurs référents emploi pour découvrir cette solution. » APF France Handicap a aussi décidé de se lancer dans la voie des EATT (entreprises adaptées
de travail temporaire), en démarrant cette année une société commune avec Adecco : les contrats d’intérim semblent en effet une bonne façon de prendre un premier contact avec une entreprise et ses activités.

Focus sur l’emploi accompagné : un coup de boost

Le plan de relance a également été l’occasion d’augmenter le nombre d’emplois accompagnés financés. Cet outil, qui facilite l’intégration des travailleurs en situation de handicap dans les entreprises, grâce à l’appui
d’un jobcoach, a été reconnu par la loi Travail de 2016. Destiné au départ aux personnes en situation de handicap psychique, il a été ouvert depuis aux autres handicaps. L’entrée dans le dispositif se fait par la Maison des personnes handicapées ou par les services publics de l’emploi (Pôle emploi bientôt fusionné avec Cap emploi et missions locales). Le nombre d’emplois accompagnés conventionnés n’est pour l’heure que de quelques milliers, mais l’ambition est de porter ce nombre à 50 000.

L’emploi pour les personnes handicapées a donc bénéficié d’un fort soutien de l’État en 2020/2021. En juillet 2020, le
gouvernement annonçait un important Plan de relance qui faisait une large part au secteur du handicap. « Comme le
plan France relance a fait de la cohésion sociale une priorité, le ministère délégué à l’Insertion participe au soutien d’une relance inclusive, explique-t-on au cabinet de Brigitte Klinkert, ministre déléguée à l’insertion. La priorité est de ne laisser personne au bord du chemin quel que soit son parcours de vie antérieur ou son handicap. Depuis un an, la priorité a été d’amortir les impacts de la crise pour les personnes en situation de handicap. Le plan de relance y a veillé avec 100 M€ dédiés à l’accès à l’emploi des personnes handicapées à destination des entreprises, des associations et du secteur de l’insertion. » En évoquant d’autres chiffres que ceux donnés plus haut, le ministère estime même que la situation s’est améliorée : les personnes en situation de handicap représentent 7,8 % du total des demandeurs d’emploi en 2020 contre 8,6 % en 2019.

Focus sur les entreprises adaptées : la crise nous a incités à repenser l’organisation du travail

Homme aveugle montrant une cible

Le groupe Ares est un ensemblier d’insertion basé à Paris et Lyon. Il compte en son sein trois entreprises
adaptées tremplins (des coentreprises montées avec de grands groupes) qui emploient 150 personnes en situation de handicap dans des métiers innovants, tout en assurant leur formation. À terme, celles-ci peuvent être embauchées dans les entreprises où elles effectuent des missions, mais cela reste une minorité. « Comme tout le monde, nous avons été à l’arrêt lors du premier confinement, explique Fabien de Castilla, l’actuel directeur d’Ares. Puis la reprise a été très active dès juin 2020. Au final, les taux de sortie ont été les mêmes que l’année précédente (1 sortie sur 2 est vers la formation), avec des entreprises qui ont
continué de recruter dans les secteurs de nos EA : logistique et numérique. » Fabien de Castilla souligne aussi le rôle des pouvoirs publics pour permettre aux entreprises adaptées d’amortir la crise : « outre la création de postes supplémentaires dans les EA qui avaient été validés dans la loi Travail et confirmés
depuis, le gouvernement ne les a pas oubliées dans son plan de relance. Il a été conçu en deux étapes : d’abord des financements pour aider les entreprises adaptées en situation de faiblesse (34 millions d’euros),
puis d’autres fonds déployés (66 millions d’euros sous forme d’appel à projets) pour appuyer leur développement ».

Ces mesures ont permis à Ares de se projeter vers l’avenir en consolidant le modèle des entreprises adaptées Tremplin. D’autres joint-ventures ont été créées, comme avec Seb. D’autre part, la crise a aussi interrogé Ares sur ses modes d’organisation au profit des personnes en situation de handicap. « Notre premier sujet était bien sur l’organisation du travail, complète Fabien de Castilla. Pendant toute la
crise, nos chargés d’insertion sont restés en contact avec tous nos salariés. À leur retour, nous avons repensé l’ergonomie de certains postes, avec par exemple de nouveaux aménagements visuels, pour les salariés ayant une déficience visuelle. Un autre de nos sujets porte sur l’ajustement de notre offre d’emplois. Nous avons beaucoup de missions de courte durée ; alors nous pensons nous développer vers l’intérim pour offrir encore plus de possibilités aux entreprises et aux bénéficiaires. »
En attendant ces autres innovations, Fabien de Castilla, invite à continuer à postuler à Log’Ins, Liva et Acces Inclusive Tech, les trois EA d’Ares en plein développement !

Pour réamorcer l’emploi des personnes handicapées, la mesure-phare du plan de relance était sans nul doute l’aide à
l’embauche
de 4 000 € à destination des entreprises qui recrutent une personne en situation de handicap en CDD ou
CDI avec pour objectif la création de 30 000 emplois. Alors que d’autres aides s’arrêtent, cette aide est prolongée
jusqu’au 31 décembre 2021. Au 1er juillet, 13 800 demandes ont été enregistrées. En outre, l’aide à l’apprentissage a permis à plus de 6 000 jeunes de trouver une alternance. Elle est également prolongée jusqu’au 31 décembre 2021. Elle est sans limite d’âge pour les personnes en situation de handicap. Encore dernièrement, en juillet, le Comité interministériel du handicap a validé les nouvelles expérimentations dans le champ du handicap. Les financements pour les CDD Tremplin et les EATT sont prorogés jusqu’au 31 décembre 2023 pour permettre aux entreprises adaptées de développer les emplois de transition et mieux accompagner l’insertion en entreprises classiques. Si pour certains
réseaux comme APF France Handicap, les aides à l’embauche peuvent n’être qu’un effet d’aubaine pour les entreprises qui n’inscriront pas leur politique handicap dans la durée, les aides pour ces expérimentations de nouveaux statuts
plus à même de répondre aux situations particulières de chaque personne, sont à encourager.

Ces nouvelles possibilités de contrats entreront dans la panoplie des nouveaux conseillers Pôle emploi/Cap Emploi. Car c’est la dernière grande nouveauté qui va impacter l’emploi du secteur : la fusion des deux services publics. Pour le public des travailleurs en situation de handicap, une des idées-forces de la réforme est bien de ne plus les isoler du reste de la population en recherche d’emploi, en espérant que cela leur donne de nouvelles opportunités. Selon le cabinet du ministère de l’insertion, « Il faut s’assurer que chaque demandeur d’emploi puisse être accompagné au mieux. C’est pour cela que le rapprochement des réseaux Pôle Emploi et Cap Emploi se poursuit, ce qui permettra d’ici mars 2022 aux conseillers des 920 agences Pôle Emploi d’acquérir des connaissances et des compétences sur le handicap et d’orienter ainsi de la manière la plus réactive et pertinente possible les personnes dans leur parcours vers l’emploi, avec le soutien du Cap Emploi pour les situations les plus complexes. » La mobilisation de très nombreux outils et de fonds de toutes sortes semble prometteuse pour l’emploi dans les prochaines années. Toutefois, il faut continuer de rester attentif à ce que les fonds soient bien utilisés et que les outils restent à la portée de tous, en gardant en tête l’alerte de Simone de Beauvoir.

Focus sur les GEIQ EMPLOI ET HANDICAP : les recrutements ont repris cette année après une forte baisse en 2020

Il existe aujourd’hui en France 4 Geiq (groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification)
Emploi et Handicap. Ils mettent à disposition des salariés en situation de handicap auprès des associations
adhérentes, avec comme promesses une embauche à la fin de la mission et une formation qualifiante en
cours de contrat. Le GEIQ est employeur et assume le risque employeur. L’idée est que les gens
se forment à un nouveau métier par le biais de l’alternance (contrat de professionnalisation). Le GEIQ est
un tremplin
, qui va se baser à la fois sur la montée en compétences et sur l’intégration dans l’entreprise. « Cette mise à disposition a connu des limites avec le premier confinement, concède François Delannoy, directeur du Geiq Emploi et Handicap des Hauts de France, qui regroupe une centaine de salariés. 70 % des salariés du Geiq sont sortis des entreprises en 2020…
Elles ne pouvaient plus assurer ni leur suivi, ni leur activité. Pour amortir la situation de nos salariés, nous les
avons placés en chômage partiel et nous avons renforcé nos liens avec eux. En particulier, nous avons mis
en place du télétravail pour la partie Formation de l’alternance, avec des aides de l’Agefiph. »
La situation a évolué favorablement en 2021, avec la reprise des recrutements par les entreprises.
« Comme l’emploi repart globalement, on peut espérer que l’emploi des personnes handicapées se stabilise
durablement, ajoute François Delannoy. Tous les secteurs ont recommencé à se mobiliser. Cette année, nous avons par exemple fait entrer deux personnes déficientes visuelles dans deux centres d’appel différents. La bonne volonté des entreprises et les aides de l’Agefiph ont permis d’adapter leurs postes de
travail. »

Par Eric Larpin