Aidants familiaux : témoignage, deux yeux pour un couple
Joséphine est arrivée avec son conjoint Victor en France en même temps que son handicap est apparu, à 50 ans. C’était une nouvelle vie à tous points de vue, mais la cécité a été un choc fort. Ils ont accepté de nous faire partager leur expérience de vie, cette épreuve pour le couple et leur situation aujourd’hui.
Elle : Je savais que ça pouvait m’arriver, mais je ne pensais pas si tôt… j’ai éprouvé beaucoup de colère, je pensais que tout était fini, même l’amour… pourquoi ça m’arrive, pourquoi moi, maintenant j’ai compris – c’est une fatalité – on a gravit la montagne, et on recommence à zéro. La présence de ma famille a été indispensable, particulièrement mon conjoint. Au début, il m’a beaucoup aidé pour les démarches administratives et pour me permettre de ne pas rester enfermée…
Lui : Au début j’ai éprouvé de la tristesse, je me suis dit que rien ne serait plus comme avant. Les projets de vacances ou même de retraite que nous avions allaient être modifiés. Au début on voit le handicap et tout ce qui ne va pas, je l’ai mise alors dans un cocon pour la protéger. Et puis au fur et à mesure du temps, on s’est mis à travailler ensemble pour qu’elle soit plus autonome… et de plus en plus encore – on ne sait pas ce qui peut m’arriver demain. Et puis c’est nécessaire pour se garder des temps seul. J’ai pu reprendre des activités de loisirs et de sport sans avoir d’inquiétude pour la laisser et elle peut se déplacer toute seule pour certaines activités.
Avant c’était elle qui faisait la cuisine et tout l’entretien de la maison, maintenant c’est ensemble. On prépare à manger ensemble par exemple, c’est important qu’elle participe pour garder de l’autonomie et se sentir utile aussi. Même si les enfants et moi-même en faisons plus qu’avant, ce qui n’est pas plus mal pour ma femme ! Côté travail, cela n’a pas été facile, je ne pouvais plus travailler comme avant avec de nombreux déplacements. J’avais des contraintes dans ma recherche d’emploi, mais j’ai fini par trouver un travail qui correspond au niveau horaire, je travaille le matin, et suis donc disponible l’après -midi pour être avec elle. On fait même un atelier danse ensemble dans une association de personnes non-voyantes.
Dans la maladie, il y a des couples qui cassent, pour moi, ce n’était pas concevable. Il y a toujours des moments difficiles, mais on se remonte le moral l’un l’autre… le couple doit être uni, avec une totale confiance, c’est indispensable. Il faut surtout savoir être compréhensif et souple, avoir de la patience, de la persévérance, du courage, et beaucoup d’amour. Quand on sort, je fais attention avec qui, et souvent je prépare le terrain en échangeant avant, pour que les personnes soient détachées de la dimension handicap.
Elle : “Ce n’est pas comme avant, ça me manque de ne pas le regarder.”
Lui : “L’avantage pour moi, c’est qu’elle ne me voit pas vieillir !” Si on devait donner un “conseil”…
Elle : Ne pas rester enfermé. Pour sortir de la maladie, il faut sortir sinon la maladie nous détruit. Et les livres (audio) m’ont beaucoup aidée : ceux liés aux maladies, ou les ouvrages philosophiques, les témoignages aussi. L’expérience de faire du théâtre m’a aussi beaucoup libérée.
Lui : Ne jamais baisser les bras, ne pas montrer la tristesse qu’on a de voir sa compagne malade. Il est essentiel de pouvoir s’adresser à des professionnels
au niveau médical ou social pour parler du handicap et comprendre, poser des questions (même naïves). Par exemple, je ne voyais pas l’intérêt d’un voyage au Vietnam organisé pour des non-voyants, qu’est-ce que cela peut leur apporter ? Et c’est ainsi que j’ai découvert comment on pouvait voyager avec les autres sens et que les rencontres et la culture ne passent pas que par les yeux… Il ne faut pas isoler le couple, car il ne peut pas surmonter tout ça tout seul – trop de POURQUOI…
Retrouvez ci-dessous tous les articles du dossier :
Introduction
Santé et bien-être de l’aidant
Concilier son rôle d’aidant avec son travail
Famille, entourage et intimité
Répit et vacances
Trouver du soutien : services et associations
Dossier : Aux côtés des aidants familiaux
La Loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées constitue une avancée majeure dans la prise en charge des besoins de compensation du handicap. De plus, elle reconnaît la place et le rôle des aidants familiaux. Toutefois qu’en-est-il aujourd’hui de leur statut ?
L’aidant familial est la personne qui vient en aide à un proche dépendant dans les activités de la vie quotidienne. Cette aide apportée à temps partiel ou à temps plein est régulière et non rémunérée. Elle peut prendre en compte des tâches différentes : démarches administratives, accompagnement à la vie sociale et à l’éducation, activités domestiques, soins, veille, soutien psychologique…
La plupart des aidants familiaux, appelés aussi proches aidants, sont généralement des conjoints, des ascendants, des descendants et parfois des amis ou des
voisins. L’aide apportée se caractérise par la situation de la personne aidée, l’intensité de l’aide et également le nombre d’années passées auprès de son proche.
En fonction de ces critères, l’aide peut avoir d’importantes conséquences par exemple sur la santé physique et psychique de l’aidant et avoir un réel impact sur sa vie personnelle et professionnelle. C’est pourquoi, il est primordial que le rôle de l’aidant soit reconnu à sa juste valeur. Les domaines où les répercussions sont les plus nombreuses sont la santé, le temps libre, la vie sociale et les revenus.
Retrouvez ci-dessous tous les articles du dossier :
Santé et bien-être de l’aidant
Famille, entourage et intimité
Répit et vacances
Concilier son rôle d’aidant avec son travail
Trouver du soutien : services et associations
Témoignage : deux yeux pour un couple
Malvoyance : Expérience immersive, 24h dans la peau d’un malvoyant
Myope à – 4,75 dioptries à chaque œil (définie comme une myopie moyenne), j’ai décidé de ne porter ni mes lunettes, ni mes lentilles pendant une journée.
L’idée : ressentir au plus près les contraintes des personnes malvoyantes et vous les restituer de manière la plus parlante possible. Pour ne pas qu’il y ait la moindre équivoque, je préfère signaler que je ne suis pas malvoyante selon la définition de l’OMS. Sans appareillage, je vois absolument flou à quelques mètres, ce que vivent (au mieux) les personnes malvoyantes avec un dispositif correctif.
7 h40 : Réveil – Et premier réflexe matinal : enfiler mes lunettes ! Que j’ai tôt fait d’enlever bien entendu !
8 h : Opération habillage – maquillage – coiffage. Habituellement, j’ai déjà un peu de mal à choisir mes vêtements dans une penderie très sombre. Autant dire qu’aujourd’hui, c’est mission impossible ! Je tâtonne pour essayer de trouver au toucher le pull que je comptais porter, de même pour le t-shirt. Je prends le premier jean que je trouve…
Pour le maquillage, c’est plus facile : c’est une expérience que je vis régulièrement ; mais une personne avec une bonne vue, ne peut imaginer l’obstacle que cela représente. D’abord, il faut pouvoir accéder au plus près d’une glace (l’idéal étant également d’utiliser un miroir grossissant) : la distance entre l’œil et le miroir ne doit pas excéder quelques centimètres ! Dans cette configuration, pas évident d’avoir un teint uniforme ! On a seulement une vue macro ; aucune vision de rendu global. Encore une fois, il ne reste plus qu’à espérer ne s’être pas trop loupée.
8 h45 : Je suis extrêmement en retard. Il faut encore que je prépare ma fille pour la crèche… La pauvre, elle ne sera pas mieux lotie que moi aujourd’hui !
9 h : Départ. Je sors mon vélo… Avant de rejeter tout à fait l’idée : bien trop dangereux. Aussi, malgré un retard terrifiant, je décide de partir à pied. Et finalement, cela ne s’avère pas beaucoup moins stressant de traverser les boulevards avec un enfant de 3 ans… Heureusement que le jeu du “c’est toi qui me dis quand le bonhomme est vert” marche bien !
9 h30 : Ouf ! Mission accomplie ! Et dire que la journée ne fait que commencer. Habituellement, je travaille de chez moi, mais comme je n’ai pas du tout anticipé sur mon handicap momentané, j’envisage assez peu me servir de mon ordinateur aujourd’hui, n’ayant aucun logiciel adapté à ma malvoyance. Je décide d’aller faire quelques courses en ville.
10 h30 : Après avoir manqué de me casser un membre en me prenant les pieds dans une laisse (et m’être fait copieusement sermonner par la propriétaire du chien), puis, avoir évité de justesse de me faire percuter par un vélo, je regagne mon logement et comprends l’intérêt de la canne blanche aussi pour que mon handicap soit identifié.
12 h30 : J’ai décidé de faire mon ménage en retard. Intention louable, mais l’accomplissement est loin d’être satisfaisant : j’ai mis deux fois plus de temps que d’habitude à effectuer des tâches somme toute assez simples, comme passer l’aspirateur ou épousseter les meubles. Et encore, je ne suis pas sûre d’être passée partout … Pour le repas, je décide d’aller au plus simple : réchauffer un plat préparé devrait être dans mes cordes.
13 h : Les habitudes sont tenaces : je m’installe devant la télévision pour regarder les informations… N’ayant pas l’habitude de n’avoir que les voix, et sans audio description, je décide de me rabattre sagement, sur la radio.
15 h42 : Livraison. Je dois signer un reçu. Je demande courtoisement au livreur de me donner la facture pour la signer sur un support mural, à 3 cm de mes yeux. Sa sidération est palpable.
17 h30 : Après une journée plutôt éprouvante au regard de mon incapacité, je vais chercher ma fille à la crèche. Je décide de l’emmener au square. J’avais seulement oublié que mon handicap provisoire ne me permet pas de reconnaître les visages… Aussi, je passe pour une snob aux yeux des habitués que je ne salue pas. Heureusement, une amie, hilare, vient rapidement me tirer de mon malaise.
19 h25 : J’ai réussi tant bien que mal à préparer le repas de ma fille. Je suis contente d’arriver au bout de cette journée. Je suis épuisée.
20 h33 : Je remets mes lunettes ; soulagée de recouvrer la vue après une dizaine de minutes de flou total. Ma conclusion : Être déficient visuel est fatiguant (quand on ne dispose ni d’aménagements, ni d’outils qui permettent de palier a minima le handicap). Toutes les actions prennent du temps… La patience et l’indulgence envers soi-même sont des armes indispensables à acquérir. Et puis évidemment, il y a le regard des autres, que l’on ne voit pas, mais que l’on ressent, ou parfois que l’on imagine (souvent à tort) hostile.
Retrouvez ci-dessous les autres articles du dossier “La malvoyance, ce handicap invisible” :
Introduction au dossier
Les critères de définition de la malvoyance
Témoignage : accepter et vivre son handicap
Reconnaissance, prise en charge et solutions de réadaptation
Interview de Xavier-Michel Lucas, ergothérapeute spécialisé en basse vision
Malvoyance : Interview de Xavier-Michel Lucas, ergothérapeute en basse vision
Xavier-Michel Lucas est ergothérapeute en basse vision à l’ARRAMAV de Nîmes.
Xavier-Michel Lucas a établi un bilan qui permet d’évaluer l’autonomie et la qualité de vie des déficients visuels grâce à la prise en charge ergothérapeutique. C’est le seul outil de ce genre qui existe en France et dans les pays francophones. Il est en phase de valorisation avant distribution.
“La malvoyance est souvent un handicap invisible. Cela renforce la difficulté de s’affirmer face aux regards des autres.”
LUMEN : Quel est votre rôle auprès de vos patients dans l’appréhension de leur handicap?
Xavier-Michel Lucas : On associe beaucoup l’ergothérapie au handicap moteur, c’est beaucoup moins connu dans le domaine sensoriel.
La notion générale est la même : on rééduque, on réadapte, on réinsère. Toujours dans un même but, qui est de fournir un maximum d’autonomie au patient.
Dans un premier temps, on va travailler sur la lésion pour tenter d’optimiser ce qui fonctionne mal. Une fois qu’on a appris au patient à potentialiser au mieux cette fonction, on passe à la phase réadaptative, dans laquelle on apprend au patient à vivre avec son handicap. On aborde tout ce qui est activités de la vie quotidienne. Sachant qu’un ergothérapeute n’est pas là pour “apprendre à faire” au patient, mais pour donner les moyens au patient de “faire”. On est dans le domaine de l’autonomie.
Pour pouvoir accomplir certaines actions, le patient va se servir de ce qu’il a appris en rééducation, à savoir prendre des informations à la fois visuelles et tactiles, analyser ces informations, et visualiser. Ce que j’appelle le regard tactile. Ensuite, on va pouvoir y ajouter la cerise sur le gâteau : les aides techniques. Mais les aides techniques ne doivent pas permettre au patient de “faire”, mais seulement d’améliorer l’efficacité de son action.
LUMEN : Comment se déroule la prise en charge ?
XML : La durée de prise en charge varie de 6 semaines à 6 mois en clinique (à raison de 4 à 5 séances par semaine), un peu moins en cabinet car les cas sont généralement moins lourds.
C’est vraiment en fonction des cas et des situations. Il peut y avoir une partie de la rééducation qui peut être faite à domicile, notamment quand les personnes n’ont pas de proche à disposition pour les accompagner en cabinet.
LUMEN : La prise en charge revêt-elle également une dimension psychologique ?
XML : Le domaine sensoriel, et particulièrement visuel, est un des domaines qui a le plus d’incidence dans la sphère psychologique, parce que notre société fonctionne à 99,99 % en visuel. Donc, le côté psychologique fait partie intégrante de cette prise en charge.
Dans certaines pathologies, on a des difficultés en situation de basse luminescence. Le fait d’avoir travaillé ce regard visio-tactile permet de pouvoir appréhender plus sereinement n’importe quelle situation, notamment le fait de manger au restaurant.
A partir du moment où on donne le moyen au patient de refaire les choses, il va prendre conscience de ses capacités, et retrouver confiance en lui. Puis, retrouver des idées de faire, et des envies de faire. Donc, effectivement, on participe à améliorer sa qualité de vie.
Retrouvez ci-dessous tous les articles du dossier “La malvoyance, ce handicap invisible” :
Introduction au dossier
Témoignage : accepter et vivre son handicap
Les critères de définition de la malvoyance
Reconnaissance, prise en charge et solutions de réadaptation
Expérience immersive : 24h dans la peau d’un malvoyant
Malvoyance : Reconnaissance, prise en charge et solutions de réadaptation
La malvoyance peut faire l’objet d’une reconnaissance par la MDPH, en fonction de la perte visuelle subie. Il est possible, dans certains cas, d’obtenir une carte d’invalidité (pour un taux d’incapacité de plus de 80 %), ou une reconnaissance de travailleur handicapé. Ces droits sont soumis à des critères médicaux, notamment à une acuité visuelle maximale de 2/10e.
Ce sera également le cas pour toute demande de compensation, notamment pour la Prestation de Compensation du Handicap. La MDPH est la seule structure à proposer une indemnisation financière. Mais les personnes malvoyantes rencontrent des difficultés bien particulières qui ne sont pas prises en compte pour l’attribution de ces compensations. Par exemple, une personne qui pourra lire des petits caractères, mais qui aura de grosses difficultés à se déplacer, ne sera pas indemnisée par la MDPH, car l’atteinte au niveau du champ visuel n’est pas prise en considération. Néanmoins, ne pas pouvoir se déplacer implique un certain nombre d’inaccessibilités (loisirs, conduite…) qui peuvent être des facteurs de désocialisation.
Le travail des assistantes sociales consiste alors à faire le point sur les obstacles rencontrés, et à prendre le relais de la MDPH en essayant de proposer des solutions adaptées (aide humaine, transport adaptés…). Ce sont des services qui fonctionnent au cas par cas, car les implications dans la vie quotidienne sont différentes en fonction de chaque personne malvoyante.
Pour les personnes âgées de plus de 60 ans, il est possible d’entrer dans un dispositif “personnes âgées”. Sinon, la seule alternative est de solliciter les mutuelles ou la Sécurité Sociale, mais cela ne peut se faire que de manière ponctuelle.
Retrouvez ci-dessous les autres articles du Dossier “La malvoyance, ce handicap invisible” :
Introduction au dossier
Les critères de définition de la malvoyance
Témoignage : accepter et vivre son handicap
Interview de Xavier-Michel Lucas, ergothérapeute spécialisé en basse vision
Expérience immersive : 24h dans la peau d’un malvoyant
Malvoyance : les critères de définition
L’OMS parle de déficience visuelle lorsque l’acuité visuelle ne dépasse pas 3/10e sur l’oeil le plus performant (et/ou quand le champ visuel présente une atteinte sévère). Quand l’acuité visuelle est strictement inférieure à 1/20e, on parle de cécité. La malvoyance est donc comprise entre ces deux mesures. Mais il ne s’agit pas que de chiffres.
Une personne sera reconnue déficiente visuelle dans la mesure où son handicap entraîne une modification de son comportement et une perte partielle d’autonomie dans les domaines suivants : lecture/ écriture, activités de la vie quotidienne, communication, appréhension de l’espace et déplacements, poursuite d’une activité professionnelle.
Retrouvez ci-dessous les autres articles du dossier “La malvoyance, ce handicap invisible”
Introduction au dossier
Témoignage : accepter et vivre son handicap
Reconnaissance, prise en charge et solutions de réadaptation
Interview de Xavier-Michel Lucas, ergothérapeute spécialisé en basse vision
Expérience immersive : 24h dans la peau d’un malvoyant