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DOSSIER: Le défi de l’autonomie


Une conquête ou un réapprentissage selon l’âge de survenue de la déficience.

Pour une personne en situation de handicap visuel, conquérir le monde environnant est une lutte de chaque instant. Lorsque le handicap visuel est de naissance, c’est un apprentissage qui sera guidé pas à pas par la famille et les professionnels.

Lorsque la baisse de vision est tardive, il s’agit d’une épreuve d’une autre nature puisqu’il faut dans un premier temps accepter l’inéluctable. Puis réapprendre à vivre autrement. Il faut donner un sens à l’environnement physique et humain avec d’autres sens.

Dans les lignes qui suivent, nous vous invitons à partager une réflexion sur les notions de dépendance et d’autonomie.

Les difficultés des personnes déficientes visuelles sont différentes en fonction de l’origine et de la date d’apparition de la malvoyance. Nous verrons quelles adaptations et quels apprentissages sont nécessaires pour faire face aux difficultés rencontrées dans la vie de tous les jours.

Accéder à l’autonomie nécessite des apprentissages multiples, difficiles voire impossibles sans l’aide des professionnels. Ces rééducateurs, trop peu nombreux, apportent aide et soutien aux personnes en situation de handicap visuel mais également à la famille.

De la dépendance à l’autonomie

La dépendance est une situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de divers déficits ou troubles, est dans l’incapacité de mener une vie quotidienne sans l’intervention de tierces personnes. (Wikipédia)

L’autonomie pour le Larousse « c’est la capacité de quelqu’un à être autonome, à ne pas dépendre d’autrui ». L’autonomie, c’est la capacité à se débrouiller seul dans toutes les circonstances de la vie.

Pour une personne valide, la plupart des actes autonomes vont de soi. Pour la personne en situation de handicap, c’est un apprentissage spécifique, une conquête. Il faut se convaincre d’être en capacité d’effectuer l’action, mais il faut également convaincre les autres, les accompagnants que l’on peut le faire, afin qu’il vous accorde leur confiance.

A quel moment va-t-on autoriser son enfant aveugle à aller chercher le pain à la boulangerie qui se situe à 100 m sur le même trottoir ? Il connait les techniques pour être autonome dans ce déplacement. Il a appris à se déplacer avec sa canne, à marcher sur le trottoir parallèlement au flux de la circulation, qui va décider qu’il est prêt ?

L’autonomie se conquiert, c’est un combat de tous les jours, il faut convaincre que l’on domine les outils et que l’on a la capacité de réaliser le projet.

Prouver à soi-même et à ses proches que l’on dispose des différents outils pour faire les actions en toute sécurité. L’enfant maitrise :

  • Ses outils cognitifs. « J’ai une bonne représentation mentale de l’espace pour aller prendre le bus et rejoindre ma destination. »
  • Ses outils technologiques. « Je sais utiliser la canne pour sécuriser mon déplacement et avertir les autres usagers de ma cécité »
  • Ses outils de sécurité. « J’ai un smartphone avec GPS, je sais m’en servir, je ne devrais pas me perdre. Je peux téléphoner en cas de besoin ».

L’autonomie est une histoire personnelle.

L’absence ou la perte de vision est un drame individuel et familial. La conquête d’autonomie varie en fonction de la personnalité de chacun et des moyens qui sont mis en place pour aider la personne.

Le degré d’autonomie est déterminé par de multiples facteurs qui sont essentiellement personnels.

  • Le potentiel visuel, c’est-à-dire la capacité de l’individu à utiliser sa vision, si minime soit-elle. C’est un élément à développer pour augmenter son autonomie. Distinguer l’ombre et la lumière peut aider à s’orienter vers la sortie d’un bâtiment ou à éviter les obstacles.
  • La connaissance de son corps, l’équilibre, l’utilisation des autres sens contribuent également à l’autonomisation.
  • Les outils technologiques comme la canne, traditionnelle et électronique ou les nouvelles technologies vocalisées comme le GPS, vont rendre des services non négligeables.

Comment évalue-t-on la déficience visuelle ?

La déficience visuelle est une réalité complexe. Cela tient à la complexité de l’organe, aux informations qu’il apporte, à la confiance qu’on lui accorde. (La vision est le sens dominant chez les êtres humains, 80% des informations sont apportées par la vue).

La déficience visuelle est une affaire d’évaluation. En France, on évalue la vision centrale de loin mesurée en dixième. Ainsi, la cécité correspond à une vision inférieure à 1/20ème après correction. La malvoyance correspond à une vision inférieure à 3/10èmeaprès correction. D’autres éléments interviennent dans la détermination du handicap visuel comme la vision de près et le champ visuel.

Nous pouvons établir trois catégories de déficients visuels.

  • Les déficients visuels de naissance, dont la survenue du handicap se situe avant la 3ème année.
  • Les déficients visuels tardifs, dont l’âge de survenue du handicap se situe de 14 ans à 50 ans. Ce sont les conséquences de pathologies comme le glaucome, rétinite pigmentaire, névrite optique, tumeurs ou les accidents …)
  • Les déficients visuels âgés de plus de 50 ans, consécutif aux rétinites, cataracte, DMLA….

Les besoins de ces différents groupes sont fondamentalement différents et les possibilités de compensation également.

Les déficients visuels de naissance.

Les enfants déficients visuels nécessitent une prise en charge adaptée dès la naissance. L’approche éducative est radicalement différente.

Il faut éduquer la famille à accepter ce petit être qui ne correspond en rien à celui qui est attendu. Les relations avec lui sont différentes. Il ne répond pas aux sourires de sa mère. La vision n’est pas le seul sens qui crée de la communication. Ainsi, il est préférable de privilégier le toucher, lui parler afin de développer ses capacités auditives et son sens tactile. Il faut le stimuler et favoriser les déplacements pour lui permettre de découvrir son environnement en favorisant l’exploration des lieux proches, puis de plus en plus lointains.

Il ne faut pas hésiter à lui proposer des outils comme la précanne pour aller encore plus loin sans danger ou se déplacer en tandem pour multiplier les sensations et développer tous ses sens en multipliant les expériences gustatives, auditives, kinesthésiques. La cuisine, la musique, les activités motrices sont les supports incontournables de l’éveil sensoriel.

Très tôt, il est nécessaire de développer la pratique des activités de la vie quotidienne grâce aux conseils et interventions de l’Avéjiste[1]. L’apprentissage par imitation ne fonctionne pas. Il faut inventer des méthodes pour qu’il reconnaisse ses vêtements, (devant derrière), qu’il lace ses chaussures, retrouve son blouson au porte manteau de l’école, se lave les mains.

Il doit pouvoir se servir à boire et manger proprement sans (trop) mettre les doigts dans l’assiette ; grâce à son odorat, deviner le menu de la cantine et reconnaitre les odeurs des fruits, distinguer les oranges des oignons par exemple.

Il apprendra aussi à reconnaitre son livre audio préféré avec l’indication en braille, utiliser le mange disque avec les gros boutons et reconnaitre les personnes par la voix et leur parfum.

Finalement, le jeune déficient visuel est un enfant comme les autres qui va à l’école, à la nuance près qu’une éducation préscolaire adaptée s’impose. Apprendre à lire et à écrire, grâce au braille en utilisant des méthodes adaptées à son jeune âge. Les enseignants parlent alors de pré-braille.

A l’école, l’enfant aveugle devra apprendre les mêmes choses que les autres mais autrement. La lecture se fera avec les doigts ou les oreilles, les mathématiques avec des formes à manipuler, l’utilisation d’un ordinateur avec une synthèse vocale ou des périphériques braille (Clavier braille et barrette de lecture en braille éphémère).

L’intervention d’enseignants spécialisés et de professionnels de la déficience visuelle est indispensable pour lui permettre de découvrir, pratiquer, perfectionner le braille, le braille abrégé, le dessin en relief, l’usage de l’ordinateur en classe.

Mais le rôle de l’enseignant spécialisé est également d’orienter les enseignants ordinaires et les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH, anciennement AVS) vers des structures pour adapter des documents pédagogiques consultables avec les outils de compensation.

La locomotion est une composante incontournable de la conquête de l’autonomie. L’instructeur de locomotion[2] va enseigner à l’enfant déficient visuel comment écouter l’environnement, comment reconnaitre avec ses pieds les revêtements de sol qui donnent une indication quant aux lieux parcourus, (moquette, carrelage, macadam, pavés, bande d’alerte). L’enfant apprend à se déplacer en sécurité, avec ou sans canne. Mais il lui faut expérimenter, répéter, pour s’approprier ces nouveaux savoirs. Un encadrement familial ou par des aidants extérieurs (éducateurs spécialisés) est indispensable pour la mise en action des apprentissages.

Les personnes déficientes visuelles tardives.

Maudy Piot[3], psychanalyste malvoyante, parlait de « perdants la vue ». Ce sont des personnes qui vivent dans un entre deux. Ni bien voyant, ni atteint de cécité. Ils sont dans une mouvance vers la perte de vision.

C’est un drame sournois qui advient, que les personnes en soient informées ou pas, la perte de vision est toujours vécue de façon dramatique. John Hull parle de naufrage[4].

Si le drame touche l’adolescent, le monde bascule, l’adolescence étant la période privilégiée de la conquête de l’autonomie. Période merveilleuse où les portes du monde s’ouvrent. A 16-18ans, on voit la fin des études obligatoires, la découverte de l’université, un diplôme professionnel, une recherche d’emploi. Le jeune adulte est souvent accompagné d’un(e) autre avec qui on fait des projets d’avenir. L’apprentissage de la conduite automobile promet des lendemains mobiles autonomes.

La survenue brutale de la cécité à l’adolescence nécessite une prise en charge rapide, souvent orienté vers un Service d’Aide à l’Acquisition de l’Autonomie Scolaire (SAAAS) pour un accueil jusqu’à 20 ans, lorsqu’il en existe un à proximité. On y apprend les outils de la reconstruction de l’autonomie.

Cependant, on peut faire le même constat à tout âge. La cécité brutale ou progressive met fin à tous les rêves, rêves d’études, de perspectives professionnelles, parfois de vie familiale.

La cécité a ceci de particulier qu’elle vous coupe du monde. La personne déficiente visuelle ne reconnait plus son environnement. Son ou sa compagne devient un.e étrang.er.ère. La maison, habituel refuge sécurisant, devient un lieu à haut risque, plein d’obstacles inconnus et agressifs. Les chaises, les tables basses, sont des dangers de chaque instant, les portes ouvertes à demi vous heurtent au visage. Les objets disparaissent. Le monde environnant est un espace à risque. Le déficient visuel ne reconnait pas les amis, les voisins qu’il rencontre quand il sort de chez lui.

« J’ai bousculé quelqu’un, je ne l’avais pas vu. Il est fâché ».

« A qui appartient cette voix qui me salue » ?

Les personnes atteintes de cécité tardive ne peuvent plus exercer le métier qu’elles ont choisi. Le monde s’efface. Le déficient visuel récent devient invisible. « Ce que je ne vois pas n’existe pas ».

Il faut reconstruire, reconquérir une vie cassée, une vie invisible. Trouver de l’aide, rencontrer un psychologue pour surnager, compter sur sa famille.

La société ne fait pas grand-chose. Les médecins diagnostiquent. Les centres de rééducation sont rares, (Paris, Nîmes, Clermont-Ferrand…). Trouver un Service d’Aide à la Vie Sociale (SAVS) relève de la gageure, surtout un SAVS spécialisé pour déficients visuels. Les services sont saturés et ont des listes d’attente pléthorique. Les professionnels compétents sont rares et surchargés de travail.

Pourtant nos malvoyants tardifs jeunes et moins jeunes peuvent se rééduquer et retrouver le plus souvent possible une vie professionnelle et sociale. Simplement ils doivent apprendre, réapprendre le monde avec des outils différents, le braille, l’audio, l’informatique, le smartphone, adapter leur lieu de vie…. Retrouver la capacité à se débrouiller seul pour la plupart des tâches de la vie quotidienne.

Reconquérir l’autonomie perdue

La rééducation passe par le développement de capacités sensorielles méconnues : l’audition, l’odorat pour reconnaitre qui est dans la salle (la voix, l’odeur des parfums), le mouvement pour retrouver l’équilibre et réapprendre à se déplacer avec aisance. Se déplacer, c’est engranger des sensations, reconnaitre des repères connus par le toucher ou le sens podotactile.

La rééducation, c’est le passage incontournable pour :

  • Apprendre l’utilisation des outils de compensation,
    • La canne,
    • Le braille,
    • L’informatique,
    • L’usage du smartphone,
    • Les assistants audios, (dictaphone, machines à lire).
  • Apprendre l’attention, la concentration, les techniques de communication avec les collègues de travail en face à face ou lors d’une réunion.

Il faut réapprendre la vie professionnelle, la vie sociale, avec d’autres modalités sensorielles.

La tâche est ardue mais accessible avec du courage et de la ténacité.

Cependant, malgré les lois promouvant l’emploi des personnes handicapées, les déficients visuels ont toutes les peines du monde à démontrer leurs compétences et les commissions médicales ont tendance à les exclure des entreprises, publiques et privées.

Qu’en est-il des personnes âgées ?

Ils sont proches de la retraite ou déjà en retraite. La DMLA, la cataracte, leur fait perdre leur autonomie, et les atteintes de l’âge ne facilitent pas la reconquête. Il faut cibler les centres d’intérêt pour mettre en place des rééducations ou l’usage d’outils.

L’arrêt de la conduite automobile est généralement le moment le plus difficile. Il faut faire admettre à la personne malvoyante que conduire devient dangereux, surtout pour les autres. Et il faut mettre en place des solutions alternatives, pour les courses, pour les loisirs. Là encore il faut faire appel à la famille et aux aidants professionnels.

Réaménager le logement :

C’est repenser les lieux de vie en fonction des possibilités visuelles pour conserver le maximum d’autonomie en toute sécurité :

  • Mettre des éclairages additionnels et adaptés dans les espaces privilégiés, sur les conseils d’un opticien basse vision
  • Ranger chaque chose à sa place pour retrouver les clés, la télécommande
  • Adapter la plaque de cuisson, le four, pour repérer les boutons de commande.
  • Utiliser des ustensiles de cuisine colorés pour faire jouer les contrastes.
  • Repérer les boites et contenants lorsqu’on a fait les courses, les ranger par catégories et par date de péremption afin d’éviter les risques d’intoxication alimentaire.

Repenser les loisirs, la vie sociale.

Les professionnels de la basse vision étudient avec la personne ses besoins et proposent des interventions de spécialistes pour réaménager ou adapter les différents espaces de vie et les activités pratiquées. (Orthoptiste, opticien, Avéjiste, instructeur de locomotion, ergothérapeute).

La lecture peut être facilitée par l’utilisation de loupes, de vidéo agrandisseur, de machine à lire, simple d’utilisation.

Quant à l’usage de l’informatique adaptée, des solutions ergonomiques sont déjà intégrées dans Windows ou Apple et facilitent grandement l’utilisation des nouvelles technologies. Des solutions de configuration peuvent aider l’accès aux outils en fonction des besoins (prise en main à distance par une tierce personne, réduction du nombre d’icône, adaptation et personnalisation de la taille de celles-ci, applications ciblées et simplifiées, vocalisation des commandes).

La difficulté reste de trouver les personnes compétentes pour assurer la mise en œuvre, l’enseignement et la maintenance des outils adaptés favorisant l’autonomie, mais souvent les associations de personnes déficientes visuelles proposent des cours et des formations adaptées à chacun.

 

L’autonomie des personnes déficientes visuelles se conquiert jour après jour avec des difficultés majeures dues essentiellement au manque de professionnels pour enseigner et développer les sens compensatoires et les outils de compensation. Notre époque nous offre une richesse foisonnante de technologies, électroniques, informatiques, outils indispensables pour compenser les incapacités des personnes en situation de handicap. Encore faut-il être capable de sélectionner les matériels utiles aux besoins de la personne et lui permettre de s’en approprier le fonctionnement.

C’est le rôle de la société dans son ensemble d’accompagner les personnes en situation de handicap afin de les aider à vivre pleinement au sein du groupe social.

Les associations ont pour rôle de faire connaitre les produits, de les tester, de les présenter à leurs adhérents et d’organiser l’apprentissage des nouveaux outils de communication.

Par ailleurs, les distributeurs de matériels spécifiques proposent des formations. Celles-ci peuvent être financées via la Prestation Compensatrice du Handicap (PCH).

Pour en savoir plus sur les matériels, on peut consulter les sites des distributeurs qui proposent des fiches descriptives, voire un prêt d’essai. Le CERTAM-AVH[5] (Centre d’Évaluation et de Recherche sur les Technologies pour les Aveugles et les Malvoyants) propose des fiches critiques bien utiles pour choisir les outils de compensation adaptés. L’Association des Paralysés de France dispose d’un centre d’étude de matériels et édite des fiches également (Centre Ressource Nouvelles Technologies[6]).

Lectures

 

(Pour rencontrer la déficience visuelle tardive par ceux qui la vivent).

Jacques SEMELIN J’arrive où je suis étranger 2007 Le Seuil Paris

Maudy PIOT Mes yeux s’en sont allés 2004 L’Harmattan Paris

John HULL Le chemin vers la nuit 1995 Robert Laffont Paris

John HULL Vers la nuit, Un journal 1990 Le Seuil Paris

 

Par Jacques Bermont

 

 

[1]Instructeur en Autonomie de la Vie Journalièrehttp://avjadv.org/index.php/14-la-profession/16-l-instructeur-en-autonomie-de-la-vie-journaliere

[2]https://www.aildv.fr/la-locomotion/

[3] Cf lectures conseillées en fin d’article

[4] John Hull journal p49 « Nous sommes gorgés d’eau. Je suis entrainé vers quelque chose d’inimaginable d’où l’on ne revient jamais. Un univers va disparaître ».

[5]http://www.certam-avh.com/

[6]http://c-rnt.apf.asso.fr/

Le 10ème numéro est en ligne !


Le numéro 10 de Lumen

Numéro 10 Lumen

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Dans ce numéro, un dossier complet sur « Osez l’amour » sujet complexe mais ô combien important car « On ne badine pas avec l’Amour ». La rédaction s’est également penché sur les bienfaits de la sophrologie et sur ce qu’est le Glaucome, une maladie plus fréquente et insidieuse qu’on le soupçonne.
Bonne lecture à tous !

Citoyennes avant tout !


Nous avons appris avec tristesse le décès de Maudy Piot, psychanalyste malvoyante, en ce 25 décembre 2017. Il y a déjà plus de 2 ans, nous vous informions de l’existence du 1er numéro d’écoute dédié aux femmes handicapées violentées, grâce à l’Association “Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir” créée par cette militante de la cause des femmes handicapées. En mai dernier, elle témoignait dans l’émission mensuelle “A vous de Voir” de France 5, intitulée Seules dans la nuit, soulignant que les femmes aveugles sont celles qui subissent le plus de violence…

Maudy Piot avait écrit une touchante tribune dans notre LUMEN Magazine n°5, que nous avons souhaité partager avec vous à nouveau ici, en hommage à cette femme d’exception.

 

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Citoyennes avant tout !

De ma fenêtre, j’observe la diversité de la vie. J’aperçois une foule bigarrée où des grands et des petits, des femmes et des hommes, avancent vers une destination inconnue de moi. Je suis fascinée par cette multitude de formes, de couleurs, de cris, de langues… Un désir m’habite : rencontrer, approcher, connaitre ces multiples facettes de la vie. Une curiosité teintée de solidarité me pousse vers ces inconnus aux visages riches, impensables, parfois inquiétants. Je veux sortir des sentiers battus, je veux m’éloigner des stéréotypes, des jugements à l’emporte pièce.

Je veux vivre ma singularité dans leur diversité. J’ai connu l’injure de la différence ; j’ai été confrontée aux qualificatifs sans appel d’handicapée, de tarée, de porteuse du mauvais œil. J’ai décidé de m’éloigner de ces maltraitances en me lançant sur une autre route. Je suis atteinte d’une maladie génétique, la rétinite pigmentaire. Lentement mais sûrement, je me suis acheminée vers un horizon de perdant la vue. Aujourd’hui je suis aveugle, j’ai une vie pleine et riche.

Au début, je ne pouvais envisager que je deviendrais aveugle, j’ai vécu dans le déni, dans l’impensable de cet aboutissement. Après avoir fui le monde des aveugles, j’ai décidé d’aller à leur 42 rencontre. J’ai fréquenté les grandes associations de personnes aveugles. Je n’y ai pas trouvé mon compte. Choquée par la mainmise masculine, par le peu de cas fait aux femmes aveugles, par la surdité à leurs paroles. J’ai donc décidé d’organiser des rencontres entre nous, femmes handicapées de la vue. J’ai organisé des colloques sur des thèmes variés tels que : “Handicap et travail”, “Cécité et maternité”, “Sport au féminin”… Ces rencontres étaient très suivies car je cherchais ce qu’il y avait de mieux comme intervenantes ou intervenants. Je me suis aperçue cependant qu’il manquait une dimension essentielle : celle de la diversité ; que le monde des aveugles pouvait ressembler à un ghetto.

En 2003, qui était l’année européenne des personnes handicapées, j’ai eu envie de créer une association qui rassemblerait des personnes handicapées quelle que soit leur symptomatologie. Ensemble nous pourrions changer le regard sur nos différences.

Pour cela, avec l’aide de mon mari, d’Anne Hidalgo première adjointe au maire de Paris et un groupe de copains et copines, nous avons décidé d’organiser un grand forum : “Femmes Handicapées Citoyennes”. Quelle révolution ! Je voulais que les trois tables rondes de la journée ne soient composées que de femmes, de femmes handicapées, avec des handicaps différents. Lucie Aubrac en était la marraine. Elle a dit haut et fort : “Vous, femmes handicapées, vous êtes des 43 Citoyennes à part entière” ! C’était la première fois que notre Citoyenneté était nommée, proclamée. Oui nous femmes handicapées nous sommes des citoyennes à part entière avant d’être handicapées, le handicap n’est pas notre identité. C’est ce 25 novembre 2003 que le mot citoyenneté a été prononcé dans le milieu du handicap.

 

Portrait de Maudy Piot, présidente de l'association "Femmes pour le dire, femmes pour agir" dans les locaux de l'association. Photo : FDFA

Portrait de Maudy Piot, présidente de l’association “Femmes pour le dire, femmes pour agir” dans les locaux de l’association. Photo : FDFA

Aujourd’hui on retrouve ce mot un peu partout. Mon idée en créant FDFA était de ne plus faire de clivages par symptomatologie mais que nous puissions travailler ensemble, échanger, grandir, quelle que soit notre singularité.

Plus de 1000 personnes étaient là ce 25 novembre 2003. A la fin de la journée 250 personnes handicapées ou valides, femmes ou hommes, sont devenues adhérentes. Notre association était née. Pour moi c’est extrêmement important la diversité. Nos différences sont des exigences formidables qui obligent de vivre, de regarder autrement l’Autre, de faire avec lui, d’avoir une attention bienveillante et solidaire. Depuis la création de FDFA, je me sens riche de la diversité de chacune et de chacun. Nous accueillons des femmes handicapées motrices, sensorielles, de petite taille, des personnes handicapées psychiques, mentales, des personnes porteuses de maladies invisibles, auto immunes, rares. Nous organisons des colloques, des forums sur des thèmes variés comme “Les aventurières de la Vie”, “Violences de genre, Violences du handicap”, “Handicap, regard de soi, regard des autres” etc. Depuis un an et demi, nous 44 avons lancé un numéro d’appel national : “Ecoute Violences Femmes Handicapées”, le 01 40 47 06 06. Savez-vous que 4 femmes handicapées sur 5 subissent des violences ? Nous ne pouvons plus nous taire, les violences sont interdites !

On constate que ce sont les femmes aveugles et les femmes handicapées psychiques qui subissent le plus de violences. Pour les accompagner, nous leur proposons des permanences juridique, psychologique, sociale… . J’ai créé l’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir pour lutter contre toutes les formes de discriminations et plus particulièrement contre la double discrimination celle d’être femme et celle d’être handicapée. Certaines des adhérentes sont également membres d’associations représentant leur symptomatologie, ce qui est une grande richesse. Pour conclure, je dirais que nos différences, toutes nos différences, sont des sources de richesses pour la société, pour nous. Ce n’est qu’ensemble que nous changerons le regard sur nos différences.

Informations sur l’association FDFA :

Site : www.fdfa.fr

Page Facebook FDFA

Tél. : 01 45 66 63 97

Courriel : contact@fdfa.fr

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Dans ce numéro, notre dossier est consacré à l’accès à la propriété pour les déficients visuels. Pas toujours évident d’accéder à ce rêve quand on est déficient visuel. Nous faisons sur le point sur les solutions, avec des témoignages.

Nous vous parlons aussi Santé et Paramédical avec un focus sur les différents métiers et spécialistes de la déficience visuelle. Les connaissez-vous ? La question est posée aussi de l’accessibilité des notices de médicaments, pas encore obligatoire mais pourtant si utile en complément du nom et du dosage en braille sur l’emballage du médicament. Des déficients visuels se mobilisent pour faire changer les choses, et s’échangent leurs trucs et astuces.

Alors que ce numéro sort quelques temps après la semaine pour l’emploi des personnes handicapées, deux grands groupes témoignent de l’intégration de salariés handicapés visuels dans leurs organisations.

Se mettre dans la peau d’une personne déficiente visuelle qui suit un cours de cuisine adapté, en voilà une belle expérience relatée aussi dans ce numéro.

Enfin, vous découvrirez aussi divers témoignages : 2 femmes qui ont perdu la vue mais avec une force de vie qui s’est solidifiée avec les épreuves.

Et toujours plus d’informations utiles à retrouver dans ce dernier numéro de l’année 2017. Cap sur 2018 avec de nouveaux sujets traitant du handicap visuel.

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Dans ce numéro nous avons choisi de parler du combat contre les maladies de la vue. D’abord à travers un dossier consacré à la recherche médicale et les innovations en cours : nouveaux traitements, nouvelles techniques chirurgicales, thérapie génique, implants… “recouvrer la vision n’est plus une utopie”, comme l’affirme le professeur Hamel. Ensuite un article santé vous permettra aussi de découvrir les maladies génétiques en matière d’ophtalmologie.

L’inclusion en milieu ordinaire est un combat quotidien pour tous les acteurs de la déficience visuelle : ce 8ème numéro vous parle des solutions mises en place dans les transports en commun, mais aussi des outils technologiques pour pouvoir s’informer au quotidien.

Et toujours plus d’informations utiles “société” comme l’article consacré à la CMI, la Carte Mobilité Inclusion entrée en vigueur depuis janvier 2017.

Et d’autres sujets à découvrir dans ce 8ème numéro !

Et si on jouait ?


Jeux de société, jeux vidéo, jeux d’apprentissage… De nombreuses solutions existent pour permettre aux personnes déficientes visuelles d’accorder au jeu une place dans leur vie quotidienne. Petit tour de la question.

Tout petit, on se construit grâce aux jeux. On forge son imagination ou sa perception de l’espace en empilant, en imitant, en transvasant. Plus grand, le jeu est un vecteur d’intégration, qu’il soit sportif ou cérébral. Les plus âgés jouent également, musclant leur mémoire, passant le temps. Être privé de la vue ne signifie par être privé de jeux. En effet, de nombreux jeux sont adaptés pour les personnes déficientes visuelles, tout en leur laissant une grande part d’autonomie, sans que l’effort de concentration ne prenne le pas sur le plaisir.

 

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Développer ses autres sens

Toucher, entendre, sentir, voilà autant de sens que les jeux permettent de développer. Les dominos, le Monopoly, le loto, les puzzles peuvent être déclinés en version tactile. Les balles sensorielles, plébiscitées par la pédagogie Montessori, conviennent également parfaitement aux bébés déficients visuels pour les encourager à l’exploration tactile. Par le son, le jeu est également possible : on peut développer son ouïe grâce aux instruments à percussion, ou remplacer la vue par une écoute attentive, par exemple en empilant des formes qui diffusent un son spécifique. L’odorat peut également servir à apparier des objets. Le site Hoptoys.fr propose ainsi de nombreux jeux adaptés pour les enfants déficients visuels (ou atteints d’autres handicaps), jeux sonores, tactiles ou avec une préhension facile.

S’adapter aux nouvelles technologies

Mais les jeux ne sont pas réservés aux enfants ! Les jeux vidéos se sont également mis à la page, et de plus en plus d’offres s’adressent aux personnes déficientes visuelles. Par exemple, A Blind Legend est un jeu sur smartphone où l’on tient le rôle d’un chevalier non-voyant qui doit accomplir une quête. Premier jeu d’aventures sans image, la seule manière d’avancer est de se fier à son ouïe, et l’on se dirige grâce aux sons de ses écouteurs. Julien, 31 ans, mal-voyant de naissance, a quant à lui décidé de s’adapter aux jeux vidéos traditionnels : s’il ne voit pas certains détails, la patience et l’habitude lui ont permis de développer des réflexes qui lui permettent de jouer aussi bien, si ce n’est mieux, que des personnes voyantes. S’il ne s’interdit aucun jeu, il attend avec impatience de confronter son handicap aux casques de réalité virtuelle ! Moins futuriste, ODIMO est une console qui a été conçue particulièrement pour les personnes âgées atteintes de DMLA. Elle s’appuie sur la technologie de la reconnaissance vocale et permet de continuer à jouer aux mots croisés, sudoku et autres batailles navales, pour ne jamais perdre cet amour du jeu, peu importe son âge.

Partager avant tout

Le jeu étant avant tout un moment convivial, le but des jeux destinés aux personnes déficientes visuelles est de ne pas en faire des outils discriminants. Ainsi, jouer entre non-voyants et voyants devient possible. C’est l’ambition de l’association Accessijeux qui adapte des jeux de société pour les personnes déficientes visuelles. L’association vend également de nombreux jeux, par exemple un jeu d’échec qui propose des cases blanches et noires de différentes hauteurs, afin de pouvoir aisément les différencier pour un nonvoyant, sans que cela empêche un voyant d’y jouer également. L’association marque aussi les jeux de cartes en braille, ce qui évite aux personnes déficientes visuelles de demander de l’aide, et même de dévoiler leur jeu. Les jeux adaptés permettent ainsi de rompre l’isolement tout en conservant une réelle autonomie. Et chacun a les cartes en mains pour tirer son épingle du jeu !

QUELQUES ASTUCES POUR ADAPTER DES JEUX :

• Aimanter les pièces d’un jeu pour ne pas tout désorganiser.

• Marquer les contours des jeux en collant des objets comme des piques à brochettes.

• Coller des stickers en relief pour différencier des cartes (une forme = un chiffre ou une couleur).

• Récupérer dans des magasins de bricolage des chutes de papier peint ou de moquette pour donner différentes textures à un plateau.

 

 

Par Marine Lasserre